J’ai un peu déserté mon blog ces derniers temps, prétextant un emploi du temps très chargé et des accès de fainéantise incontrôlés, et ceci, amis dodus, est un demi-mensonge. Je suis toujours fortement occupée avec mes heures de Code, de conduite, de sport et puis la vie de tous les jours aussi. Seulement, il s’avère que j’ai l’esprit en perpétuelle réflexion depuis quelques semaines. Contre ma volonté, je cogite, je réfléchis, je cauchemarde, je vacille, je pleure. Mon cerveau n’est jamais réellement sur pause, et je suis tout bonnement fatiguée. Moralement fatiguée.
Il y a très longtemps que je voulais parler de ce sujet. Bien évidemment, je n’ai jamais réellement su comment aborder la chose, que ce soit avec ma famille, mes amis, Georges Clooney, ou bien tout simplement, avec moi-même.
Vous savez que ce blog est mon exutoire et écrire tout ce qui me passe par la tête me libère de mes émotions toujours un peu trop envahissantes.
Celles et ceux qui ont un problème de poids comme le mien, ont, la plupart du temps, un passé qui explique ce surpoids ou cette obésité. Quelque chose qui a fait que. Qui a fait qu’on a grossi, qu’on a fermé les yeux, qu’on a baissé les bras. Qu’on est devenu gras, qu’on est devenu gros.
J’ai longtemps pensé que mon obésité était due à la mort de ma sœur d’adoption puisque rapidement après son décès, j’ai grossi de manière exponentielle, passant de 70 à 141 kilos. Elle était ma confidente, mon pilier, ma vie, et il est certain que j’ai perdu une partie de moi-même en même temps que je l’ai perdue, elle. Cependant, au vu des récents évènements, j’ai soudainement pris conscience que ce tragique évènement n’était que la partie visible de l’iceberg.
Les propos qui suivront risquent de choquer et je m’en excuse d’avance.
Je porte un secret. Ou plutôt, j’ai porté un secret. Un secret très lourd. Et très vieux. Un lourd secret de seize ans. Seize ans que je vis avec, seize ans que j’ai appris à faire avec, seize ans où je me suis tue. Seize ans de silence, c’est long. Seize ans de silence, c’est dur.
J’ai été violée.
C’est la première fois que je l’écris, et c’est pénible. Pénible et lourd de sens. Pénible parce que ça me positionne au rang de victime et je déteste ça. Lourd de sens parce que le plus sordide de l’histoire est que mon agresseur, mon violeur, était un membre de ma famille.
Je vous épargne les détails parce qu’ils n’ont rien à faire dans ce blog.
J’avais neuf ans. Oui, neuf ans.
Il était plus grand que moi, plus fort que moi. Il était surtout adulte. Et il a profité de sa position de force pendant près d’une année.
J’ai porté ce secret pendant seize ans, soit plus de la moitié de ma vie. Pendant seize ans, j’ai caché mon calvaire à mes proches, mes amis… Et à ce qui est le plus important à mes yeux : à mes parents. J’ai caché la vérité à mes parents.
J’ai souvent entendu parler d’histoires de viol dans les médias, dans les livres, dans les films. Et pas une seule fois pendant ces seize longues années, j’ai pensé à avouer ce qu’il m’était arrivé. Parce que j’avais peur, parce que j’avais honte, parce que je pensais avoir oublié.
Et puis, je suis devenue adulte. J’ai toujours gardé cet épisode tragique au fond de ma mémoire, en me concentrant tellement fort pour oublier…que j’ai fini par réellement oublier.
Et puis, je suis devenue adulte. Et j’ai compris que si j’avais autant de mal à avancer, c’est parce que quelque chose, quelqu’un me retenait dans le passé. J’avais beau courir, les voiles de mon passé me rattrapaient toujours et m’entouraient de ses serres. J’étais prisonnière. J’étais sa prisonnière.
On me dit courageuse parce que je n’ai peur de rien. On me dit courageuse parce que je dégomme tout sur mon passage. On me dit courageuse parce que je fonce toujours quand c’est pour mon bien.
Et pourtant… Il m’a fallu rassembler toutes mes forces pour enfin dire la vérité à mes parents. Il y a deux semaines exactement. Et au-delà de me sentir courageuse pour enfin faire éclater la vérité, je me suis surtout sentie noyée.
Je me noie.
Je suis prise dans un raz-de-marée, les vagues frappent de plus en plus fort contre le rivage, les rouleaux des embruns se forment autour de moi et m’attirent vers le fond sans que je ne puisse jamais revenir à la surface.
Je me noie.
C’est comme si avant ma révélation, j’avais l’eau de la mer jusqu’aux genoux. Et maintenant, je suis complètement submergée et je peine à respirer.
Je me noie.
On m’avait promis la libération. Je ne la vois pas.
Je ne ressens que cette immense vague de panique froide et j’ai peur.
Mon violeur est toujours en vie. Je ne l’ai jamais revu depuis mes neuf ans, et comme depuis seize ans, je prie chaque jour pour ne jamais le croiser.
J’ai trop souvent entendu des histoires de viol et mon cas n’en est qu’un parmi tant d’autres, n’est pas le premier, et ne sera malheureusement pas le dernier.
Au-delà même d’être la genèse de mes problèmes de poids, c’est aussi toute ma vie d’adulte, ma vie de femme qui est remise en question.
Je me noie.
On est toujours un peu triste quand on apprend que ça arrive aux autres. Mais que faire quand ça nous arrive à nous ?
Je vous le demande.
L’incertitude me broie le cœur, et déjà que le courant m’entraîne vers le fond, j’ai l’impression de perdre toute la joie de vivre qui m’animait, et j’ai l’impression que celle que j’étais est en train de disparaître, de mourir.
Perdue dans mes pensées, perdue dans mes émotions, perdues dans mes priorités. Perdue dans ma vie.
Je connais mes droits. Je peux porter plainte comme je peux ne pas le faire. L’issue de cette histoire repose entièrement sur moi, mais comment prendre une telle décision ? Comment savoir ce qui est le mieux pour moi quand je ne sais plus qui je suis moi-même ?
J’ai été violée à neuf ans et j’ai construit ma vie entière sur un mensonge par omission, alors qui suis-je à présent ? Que dois-je faire ? Comment vais-je vivre maintenant que ce n’est plus un secret ? Est-ce-que je dois porter plainte ? Si oui, aurai-je la force d’endurer un long procès ? Aurai-je la force de le confronter ? Serai-je assez forte pour revivre normalement après tout ça ? Dois-je lui pardonner ?
Tant de questions et je suis la seule à pouvoir y apporter des réponses.
Je suis complètement submergée et je commence à manquer d’air.
Je.
Me.
Noie.
Et je m’en réfère à vous, amis d’Internet et d’ailleurs : vous êtes vous retrouvés dans cette même situation ? Connaissez-vous quelqu’un qui a su toucher le fond pour remonter à la surface ?
J’ai envie de respirer à nouveau.
Je vous en prie, aidez-moi.